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• Contribution au débat de François ANCELIN
2 août 2008
Les Éditions d’Albret, ont publié récemment les actes du Colloque tenu à Nérac les 25 et 26 novembre 2006 : « La Charte d’Amiens a 100 ans ». Parmi les diverses contributions, nous avons noté celle de MM. Serge Bianchi et Jacques Macé : « Les événements de Draveil, Vigneux et Villeneuve-Saint-Georges en 1908 ». Résumer en quelques 24 pages un épisode aussi complexe de l’histoire sociale était effectivement un exercice délicat, mais quelques précisions supplémentaires méritent à mon avis d’être apportées afin de lever certaines ambiguïtés et rétablir certaines vérités :
A la lecture de cette intervention, mon impression générale (mais là, je reconnais ma partialité : je me range du côté des ouvriers), a été de constater que les premiers acteurs, les grévistes, n'y étaient pas à la place qu'ils méritaient et que leurs adversaires, patronaux ou gouvernementaux, bénéficiaient d'une certaine indulgence. Évidemment, ces quelques remarques, tout à fait personnelles, n'engagent que moi, mais j'estime que la parole des grévistes vaut bien (et de loin.) celle de leurs adversaires.
Maintenant, rentrons dans le détail :
- Dès le deuxième chapitre (page 236), la grève des sablières est intitulée « Une grève qui dégénère (2 mai-2 juin 1908) ». Pour le non-initié, cette formule lapidaire peut faire croire que la responsabilité de la tragique issue de cette période incombe aux acteurs de la grève, alors qu'ils sont les victimes d'une collusion patronat-gouvernement. Et, parmi les coupables de ce drame, notamment, il faudra un jour que soient bien clairement énoncées les parts de responsabilité du Directeur local des Sablières de la
Seine à Vigneux. Ce personnage fait l'objet du rapport suivant de la Préfecture de Police en date du 18 novembre 1908 : « D'une enquête faite sur place par un correspondant, il résulte qu'il s'est réellement produit, ces jours derniers, un mécontentement provoqué par les excès de zèle du Directeur des Sablières de la Seine, M. BERTHET, dont l'attitude hautaine a déjà provoqué une grève en 1903, puis celle du commencement de l'année. On croit savoir que la Société des Sablières se séparera prochainement de M. BERTHET, qui est la cause de mécontentements perpétuels parmi les ouvriers ». Et pourtant, on ne peut pas accuser la Préfecture de Police de sympathies à l'égard des terrassiers..
Le terme « dégénère » donne aussi une impression négative du conflit. Or, doit-on considérer que cette grève fut en soi un échec ? Je ne le pense pas. Certes, abstraction faite du drame, la victoire ouvrière est loin d'être totale le 4 août 1908. Les tentatives de remise en cause de ces avancées vont être nombreuses de la part du patronat (quasi permanentes depuis l'automne 1908, jusqu'à juillet 1909.), mais les choses ne sont désormais plus pareilles ; le syndicat, même s'il n'est pas reconnu comme l'auraient souhaité les grévistes, a bien surmonté toutes ces péripéties et les diverses machinations entreprises pour le faire disparaître, tant au niveau local que national, ont échoué. Et puis, que dire de l'obtention, voilà cent ans, d'une réduction du temps de travail assortie d'une augmentation de salaire. l'actualité de 2008 est bien moins riche en avancées. On pourrait aussi parler de la dénonciation de l'appétit sans fin des actionnaires des Sablières face aux modestes revendications salariales des grévistes.
- Page 239 est évoqué le refus patronal de négocier, certes, mais il me paraîtrait tellement plus significatif de rappeler, comme l'avait fait Monsieur MACÉ dans la plaquette « Le drame des Sablières en 1908 » que : « À partir du 18 mai (1908) le conflit se radicalise ; 26 entreprises
signent un pacte de solidarité pour refouler les revendications et s'opposer au syndicat ouvrier. ». Dès cette date le patronat, organisé lui-même en syndicat patronal, a fait le choix d'un conflit exceptionnellement dur.
- Page 239, pourquoi affubler Ernest SIMONET du qualificatif de « saboteur » ? Je comprends la valeur des guillemets, mais n'est-ce pas excessif ? Pourquoi récupérer ce terme utilisé par la presse réactionnaire alors qu'il n'est même pas utilisé par les plaignants (BRÉFORD, TURC, VILLETTE) dans
leurs dépositions au Parquet de Corbeil. De plus, SIMONET faisait partie d'un groupe de 200 grévistes qui tous avaient dételé et déchargé les tombereaux en question. Mais il eut la malchance d'être l'un des rares à être reconnus.
- Page 240, il est dit : « Les obsèques de LE FOL et GIOBELLINA à Vigneux et Villeneuve-Saint-Georges marquent le début de l'escalade ». Petite erreur, les obsèques de LE FOLL eurent lieu le 4 juin à Villeneuve-le-Roi, et non à Vigneux, et celles de GEOBELLINA eurent lieu le lendemain, à
Villeneuve-Saint-Georges.
- Page 240, le sous-préfet de Corbeil est présenté comme « ayant tenté, sans succès, à trouver une issue au conflit ». Je ne partage pas du tout cette vision, car M. ÉMERY, sous-préfet de Corbeil (et par ailleurs gendre de Paul DOUMER) ne mérite pas pareille bienveillance. N'est ce pas lui qui, dès le début du conflit, met en place des forces de gendarmerie, puis la troupe pour assurer la « liberté du travail » dans les Sablières. On peut aussi se faire une idée de sa popularité dans « Le Réveil Social » (organe des groupes socialistes de l'arrondissement de Corbeil), du 13 juin 1908, qui, sous la plume de Paul LAFARGUE, publie le texte suivant : « Le Groupe d'Études Sociales de Draveil du Parti Socialiste (S.F.I.O.), invite le Conseil Municipal de Draveil à témoigner son indignation des lâches assassinats de
Vigneux en réclamant l'arrestation et la mise en jugement des gendarmes de Draveil ainsi que du sous-préfet de Seine-et-Oise qui, pour servir les intérêts des propriétaires des fouilles, n'a cessé de provoquer les grévistes et d'exciter les gendarmes à les maltraiter ».
- Toujours page 240 : « Le 27 juillet 1908, de graves incidents se produisent de nouveau sur un chantier protégé par la troupe. RICORDEAU, sorte de tribun populaire déjà connu des services de police, se livre à des voies de fait ». Certes le rapport de police parle de rébellion, outrages et voies de fait au sujet de RICORDEAU à l'égard du Capitaine PERRIN. Mais, à la lecture des comptes rendus de cet affrontement, il apparaît bien que la « collision » a bien eu lieu à la suite de la charge non motivée des
grévistes par les dragons et les gendarmes. Alors, la voie de fait, dans ce cas, n'est pas loin de la légitime défense, non ? D'ailleurs, dans son rapport au Garde des Sceaux, le Procureur Général près la Cour d'Appel de Paris reproche seulement à RICORDEAU d'avoir traité les gendarmes de «lâches, vaches et fainéants », et s'il évoque des coups de poing dans la poitrine d'un gendarme « distribués » par RICORDEAU après son arrestation, le Procureur général, rapportant l'audience et la condamnation de RICORDEAU ne parle jamais de voies de fait, car il n'y en fut pas question. Quant à ces antécédents judiciaires, à cette date, RICORDEAU fait l'objet d'une condamnation pour tentative de vol et désertion. Qu'en est-il réellement ? Il est vrai qu'il est connu de la police, son casier judiciaire, au 31 juillet 1908, fait référence à 4 condamnations, dont celle du 31 juillet 1908, pour outrages et rébellion (à remarquer qu'on n'y parle pas de voies de fait). En anarchiste bien trempé, RICORDEAU avait systématiquement refusé toutes les contraintes militaires, ainsi il déserta en 1898, et aux alentours de 1900/1904 il déserte à nouveau. En mars 1906, ne répondant pas aux convocations de l'armée, il est déclaré « insoumis ». Ses trois autres « soucis » avec la justice sont les suivants :
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1) En novembre 1905, pour avoir conseillé la violence lors d'une grève des terrassiers et s'être mêlé à la bagarre qui a suivi ;
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2) le 9 mars 1906, il avait été condamné pour outrages et voies de fait (alors qu'il dirige une grève de terrassiers sur un chantier du Métro, en décembre 1905) ;
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3) le 24 janvier 1907, il avait été condamné, par défaut, à 4 mois de prison pour tentative de vol de fil électrique.
À remarquer que pour sa condamnation de décembre 1905, il est établi qu'il était tombé dans un piège tendu par la police, l'agent LOUIT jouant les provocateurs en incitant les grévistes à détruire le matériel des chantiers. Conclusion : difficile évidemment de faire passer RICORDEAU pour un angelot, mais, s'il a été utilisé par la police à son insu (je m'en expliquerai plus loin), il n'a jamais trahi ses camarades et a plus donné que reçu, même si - bien sûr - je condamne certaines de ses méthodes (mais étaient-elles moins « élégantes » que celles du patronat qu'il affrontait ?).
- Page 242 : « RICORDEAU , arrêté en juin (20/06/1908) pour délit de droit commun mais relâché par la police inspire à certains dirigeants une défiance qui pourrait s'appliquer aussi à MÉTIVIER, informateur de la Préfecture de police ». Au vu de ce que nous savons aujourd'hui, cette phrase mérite des
commentaires ; certes cette libération immédiate en surprit plus d'un à l' époque, y compris chez les proches camarades de RICORDEAU. Je suis convaincu que c'était un stratagème utilisé par le Gouvernement pour désamorcer le conflit de Draveil-Vigneux alors qu'il était à son maximum et que RICORDEAU bénéficiait d'une grande audience auprès des terrassiers grévistes. En laissant planer un doute sur les conditions de sa libération, certains pensaient « griller » ce trop encombrant militant (et ce n'est pas seulement au gouvernement que l'on s'en félicitait, même à la CGT, certains commençait
à s'inquiéter de son pouvoir de conviction sur les grévistes et de ses prises de position « très catégoriques ». Cette arrestation est motivée par sa condamnation du 24 janvier 1907 pour tentative de vol de fil électrique.
Et, pourquoi sa libération immédiate ? Parce que tout simplement l'arrêt de la Cour d'Appel lui signifiant sa peine n'avait pu lui être remis en main propre puisqu'il avait fait défaut à toutes les convocations. Comment expliquer autrement le fait que la police l'ait recherché près d'un an et demi sans le trouver alors qu'il avait une vie publique on ne peut plus active, gérant tous les conflits de terrassiers tant sur la capitale qu'en banlieue ? Sinon en considérant que CLEMENCEAU (et dans une certaine mesure BRIAND) ont probablement attendu le moment propice pour abattre ce dangereux militant en touchant à son honorabilité ; et le conflit de Draveil-Vigneux était le moment idéal !
- Toujours page 242, on en vient à la journée du 30 juillet 1908. Certes, il n'est pas possible en moins de dix lignes de décrire les événements, mais la formule « Un cortège se forme ensuite pour gagner la gare de Villeneuve-Saint-Georges et se rendre sur la tombe des victimes du 2 juin. Les dragons, chargés de les disperser, le bloquent sous un pont de chemin de fer. Des grévistes escaladent le talus et bombardent les soldats avec les pierres du ballast. Les sabres sont dégainés et le sang coule ». Cette
version passe sous silence les nombreuses provocations de la cavalerie sur les grévistes, les simulations de charge des manifestants réunis lors du meeting, en milieu de matinée. Et si ces manifestants escaladent ensuite le talus du chemin de fer c'est bien pour se protéger de la charge des
cuirassiers, et leurs cailloux du ballast étaient bien dérisoires face aux sabres ou aux carabines des cuirassiers ! La tactique choisie par l'armée n'était pas de disperser les manifestants mais de les coincer dans le cul de sac formé par la jonction des deux voies. Après cette première escarmouche, les soldats laissent rentrer les manifestants dans Villeneuve, mais c'est pour mieux les faire tomber dans la nasse de la place de la gare où les attendent d'autres cuirassiers. Et là, commence la boucherie.
- Le paragraphe suivant, toujours sur la même page, commence par « Une véritable émeute se produit autour de la gare de Villeneuve. ». Émeute, selon le Petit Larousse, signifie « soulèvement populaire spontané ». On est loin de ce cas à Villeneuve, les manifestants tentent de se défendre comme ils peuvent, mais l'initiative de l'attaque, ce ne sont pas eux qui l'ont eue.
Dans le même paragraphe il faut remplacer « général VIRNAIRE » par «Général VIRVAIRE ».
- Page 249, note 7 : « Fernand JULIAN, absent jusqu'en août 1908. Il remplace RIBAULT à l'automne, et habite rue Emile FRUCHART, à Draveil ». Fernand JULIAN (grand-père de mon épouse) n'était pas à Draveil-Vigneux pendant les « événements ». Il avait quitté Marseille et s'était installé à Vigneux (33 allée Sadi CARNOT) en 1906, où il avait rejoint ses trois beaux-frères qui travaillaient pour LÉNERU. Assez rapidement, avec un de ses beaux-frères, il accepte de venir travailler à Port-Saint-Louis du Rhône, pour le compte de l'entreprise BOURGEOIS (elle aussi du groupe des Sablières), dans le cadre du dragage du Canal Saint-Louis et des écluses. A la mi-juin 1908, il était encore à Port-Saint-Louis et y organisait une collecte de solidarité pour ses camarades en lutte dans le bassin de Draveil-Vigneux. À la fin du chantier, fin de l'été, début de l'automne 1908, ils ont été rapatriés à Vigneux. Et, à ma connaissance, à leur retour, ils s'installent à Vigneux, au 53 de la route de Corbeil (en tout cas, c'est
l'adresse mentionnée sur son Registre Matricule à la date du 29/10/1908).
- Page 252, note 7 : « .À leur sortie de prison, ils (Fernand JULIAN et Édouard RICORDEAU) ne respectent pas l'interdiction de séjour, fournissant ainsi à la police un moyen de pression sur eux ». Je crois que l'un et l'autre ne furent jamais inquiets à ce sujet et, en tous cas, ils ne tinrent jamais compte de cette interdiction. À mon avis, JULIAN a profité de la notoriété et de la popularité de RICORDEAU auprès de ses camarades. Il faut savoir qu'en mai 1909 le Procureur Général LESCOUVÉ sollicite à plusieurs reprises le Garde des Sceaux (A. BRIAND) pour avoir son avis et savoir s'il juge opportune une éventuelle arrestation de RICORDEAU (et donc de JULIAN) compte tenu de la « dangerosité » (sic) de RICORDEAU ! Fidèle à ses principes, RICORDEAU ne se présente jamais aux convocations de l'armée ou de la justice, donc il est condamné par contumace. Tandis que JULIAN, plus respectueux des usages, se fait « coincer » en juillet 1909, au tribunal de Corbeil alors qu'il vient témoigner pour une autre affaire. Que BRIAND ait voulu conserver cette peine comme moyen de pression, c'est possible, mais ce fut sans effet, pas plus sur RICORDEAU que sur JULIAN. BRIAND, alors qu'il était Président du Conseil, avait confié à COLLY qu'il n'appliquerait jamais cette interdiction de séjour et, en effet, il a retardé au maximum les demandes d'arrestation de RICORDEAU et de JULIAN, il a même suspendu
leur interdiction de séjour le 5 mars 1910 mais sans en aviser les intéressés, ni la police, d'où quelques arrestations suivies de libérations peu compréhensibles pour le non initié. Et dès son arrivée à la présidence du Conseil, CAILLAUX aura pour première action de soumettre RICORDEAU à un nouvel arrêté d'interdiction de séjour (le 11/07/1911).
- Page 253, « Les agents à la solde de CLEMENCEAU seraient en particulier MÉTIVIER, RICORDEAU et RAIMBAULT ». La culpabilité de MÉTIVIER et de RAIMBAULT a été établie et reconnue, celle de RICORDEAU n'a jamais pu être démontrée et ses accusateurs d'un temps se sont tous rétractés, donc il doit bénéficier de la présomption d'innocence. Cent ans plus tard on ne va pas se remettre à colporter des ragots qui visaient à déstabiliser des ouvriers en lutte. Quant aux accusations concernant PATAUD ou Paul LAFARGUE, je n'en ai pas connaissance, je ne m'exprimerai donc pas dessus, mais n'ayant jamais rencontré d'allusions à une trahison de leur part, je crains que ce ne soient aussi des interprétation non fondées.
- Page 253, la note 3, RICORDEAU « arrêté en juillet, il aurait mangé le 8 juin un nez et une phalange ». Cette anecdote peut faire sourire, mais lorsque l'on lit le procès-verbal de cet incident, on y lit que RICORDEAU aurait « enlevé à coup de dents un morceau de nez et la phalange d'un
doigt » d'un ouvrier non gréviste des chantiers du Métro, à Paris, et on y voit surtout que l'informateur de la Gendarmerie de Vigneux veut garder l'anonymat, qu'il ne peut dater cet événement, et que la victime aurait retiré sa plainte par peur. Bref, nous sommes en plein ragot, en plein délire, mais un délire peut-être pas si innocent, nous sommes en pleine grève de Draveil-Vigneux et, ce jour là, RICORDEAU représente les Terrassiers lors des obsèques de LE FOLL. Donc, pour moi, ce document ne mérite pas d'être publié sinon pour montrer la bêtise de certains « témoins ». De plus, la note semble indiquer que RICORDEAU fut arrêté en juillet 1908 suite à cette affaire ! C'est faux et archi faux ! RICORDEAU est arrêté le 27 juillet 1908, nous l'avons vu précédemment, suite à des outrages à gendarmes et sur la personne du capitaine PERRIN.
- Page 254, « Joseph CAILLAUX, le nouveau président du Conseil, qui est loin d'être un grand ami de CLEMENCEAU et de son successeur, Aristide BRIAND, révèle à des journalistes que les interdits de séjour RICORDEAU et JULIAN sont manipulés par BRIAND ». De quoi s'agit-il ? En effet, le 9 novembre 1911, alors qu'il a fait arrêter JULIAN le 6 novembre pour infraction à l'arrêté d'interdiction de séjour, CAILLAUX est interpellé par LAUCHE, député socialiste de la Seine, qui lui demande la mise en liberté de JULIAN, voici l'échange entre ces deux personnages qui a été reproduits dans de nombreux documents de l'époque :
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CAILLAUX : « Vous avez un moyen d'obtenir la mise en liberté de JULIAN, demandez-lui de signer un recours en grâce ».
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LAUCHE : « JULIAN et ses amis n'accepteront jamais ».
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CAILLAUX : « Vous avez un autre moyen. Il y a quelqu'un qui se trouve dans le même cas* que JULIAN, c'est RICORDEAU. Posez la question pour les deux. Mais voici ce que je vous répondrai à la tribune de la Chambre : j'établirai que RICORDEAU est un mouchard ».
Par « même cas », il faut entendre « soumis tous les deux à la peine d'interdiction de séjour », et non pas tous les deux des mouchards ! Une lecture attentive des multiples compte rendus de cet incident dans les plus grands titres de la presse aurait pourtant, dans un premier temps, évité de jeter l'accusation de mouchard sur JULIAN. Heureusement, après une période de quelques jours de trouble à l'égard de RICORDEAU, la machination commence à s'éventer, le 22 novembre, « La Guerre Sociale » présente ses excuses à RICORDEAU pour avoir cru un moment aux accusations de CAILLAUX, « La Bataille Syndicaliste » fait de même. Le 23 novembre, CAILLAUX doit s'expliquer publiquement à la Chambre et répondre aux questions de LAUCHE : et là, CAILLAUX se rétracte, disant : « Sur mon honneur et sur ma conscience, je n'ai jamais dit que RICORDEAU fut un deuxième MÉTIVIER ». Le 10 décembre, Léon JOUHAUX, dans son édito « La fin d'une erreur » innocente
définitivement RICORDEAU. À noter aussi qu'en aucun document JULIAN n'a été accusé de «mouchardage». Je serais donc heureux que, cent ans plus tard, on ne vienne pas jeter le doute – sans apporter de preuves - sur l'honneur de ce militant qui a beaucoup donné pour ses camarades de Draveil-Vigneux et des environs.
- Page 257, note 2 : « Les grèves reprennent en juillet 1909, JULIAN et RICORDEAU sont condamnés à 12 mois de prison et privation de droits civiques (carnet B) ». Le 23 juillet 1909, Fernand JULIAN est condamné à quatre mois de prison, RICORDEAU est condamné à huit mois de prison et cinq ans d'interdiction de séjour. Tous deux font appel et le jugement en appel maintient les peines de prison et chacun se voit signifier une interdiction de séjour de cinq ans. Il n'est pas question de Carnet B à cette date.
Fernand JULIAN ne sera inscrit au Carnet B que le 22 octobre 1911 et il restera inscrit sur la liste des anarchistes de Seine-et-Oise jusqu'en 1923. Au passage, rappelons que le Carnet B ne consistait pas en une privation des droits civiques, ce qui, entre nous, aurait fait doucement rigoler les anarchistes qui constituaient la plus grande partie des inscrits au Carnet B : le but de ces listes était de procéder à des arrestations préventives en cas de mouvements sociaux ou d'envoi en première ligne en cas de conflit
armé. Mais quand le premier conflit mondial éclatera, « L'Union Sacrée » évitera de justesse l'application de cette dernière finalité.
François ANCELIN
01/08/2008 |